Prédication 14/10/2018– 20 p. Trin. –
Genèse 8, 15-22
16 « Sors de l’arche avec ta femme, tes fils et les femmes de tes fils.
18 Noé sortit avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils.
Comment parvenir à passer de la crise à la vie ?
L’arche est le symbole de la crise de l’humanité.
Noé est le modèle (archétype) de l’homme bon, juste, intègre, mais attaqué de toute part. C’est le modèle même de l’homme seul.
Noé était seul, isolé, dans un monde hostile à Dieu et hostile à l’intégrité qu’il représente.
Il savait qu’il avait raison, il avait des certitudes intérieures, mais tout lui donnait tort : le bateau construit à des lieux de la mer, les « méchants » qui prospéraient et se moquaient de lui. Nombreux sont les psaumes qui ont été composés par des hommes dans cette situation désespérante. Ils n’en peuvent plus de voir les méchants railleurs prospérer.
Les faits semblaient leur donner raison.
Alors le danger est grand de se replier sur soi, dans un cynisme distant et regarder le monde et ses agitations comme un spectacle tragi-comique en se donnant l’illusion de ne pas en faire partie. Dieu peut même devenir un alibi pour ne plus sortir, pour s’enfermer dans l’arche de son monde clos et de ses certitudes. Cette arche peut devenir un cercueil.
Noé présenté comme le meilleur des hommes, choisi par Dieu, n’a pas créé avec son arche un espace « pur », libre de tout mal pour ne pas répéter la catastrophe qui mena à cette crise : il a embarqué également le serpent qui, vous le savez, d’après ce même récit de la création, est responsable de la catastrophe.
Puis il y a ce constat accablant : Dieu dit que l’homme est corrompu dès son enfance, son jeune âge (v.21). Ce n’est pas l’hérédité, ni l’acquis, ni l’éducation qui sont en cause. L’homme est corrompu de nature. Cela veut dire aussi que la lutte n’est pas terminée; la lutte qui relève de sa responsabilité continue.
C’est à cela que Noé est invité. Peut-être n’aurait-il pas bougé de son arche s’il n’y avait eu cette injonction de la part de Dieu : « sors ! »
Il faudrait presque traduire par « échappe-toi » ; cette arche était un espace protecteur, il faut maintenant le quitter, s’en arracher.
Ce pas n’est pas aussi évident qu’il n’y paraît. Nous connaissons tous, peut-être des gens qui leur vie durant ne sont pas sortis de leur nid douillet construit contre les tempêtes de leur existence, de leur arche protectrice préférant l’enfermement à la vie et ses imprévus, la maladie (dans laquelle on peut s’installer) à la guérison qui fait bouger.
Peur de bouger ou de tomber dans une situation pire.
Parfois notre arche a une allure bien propre, sent la religion, le dévouement, la bonne action, l’ordre. Le chaos et le désordre primordial qui tempête au dehors ne nous touche pas mais, souvent cette « protection » sert aussi à réprimer nos difficultés, les recouvrir, les cacher pudiquement et ne pas chercher à les résoudre.
Certains Noés ne descendent même plus dans les cales de leur arche ; ils cherchent à tout prix à oublier tout ce qu’ils y ont fourré un jour. Certes parfois ça soulève un peu le plancher, parfois ça toque et frappe ; mais on va se prendre un antalgique, un anti-dépresseur ou on recouvre cela d’une prière et on repart pour un tour. On ne se rend même pas compte que cela grouille de plus en plus là en dessous (ce sont les termes de notre texte : grouillement, fourmillement, … grenouillage.. ? ) On ne se rend même plus compte que tout cela se développe dans une inconscience parfaite, et que petit à petit l’arche enfonce de plus en plus dans les flots et finit par couler.
Sors !
C’est là qu’intervient Dieu : Si tu veux vivre, si tu veux participer à la création nouvelle, celle qui n’est plus promise à la destruction, au déluge, sors.
Sortir c’est vivre. Sortir c’est faire vivre. Ces animaux ont une toute autre allure à l’extérieur : ils redeviennent productifs et créateurs puisqu’ils vont de nouveau se multiplier et fructifier.
Même Noé est créatif : il construit un autel. Construire est la même racine verbale qu’avoir des enfants, avoir des fils. On pourrait traduire indifféremment par construire ou enfanter. Et c’est véritablement ce qui se passe : produire la vie, c’est rendre grâce à Dieu.
Le mécontentement constant, l’ingratitude, l’insatisfaction, la peur, sont stériles et stérilisants.
Là où réellement éclate la reconnaissance, nous n’aurons plus besoin de nous préoccuper de ce qui sera après nous.
Mais il est vrai que Noé a dû sortir de son arche. Il a dû accepter que tous ces animaux défilent devant lui, au grand jour. Tous sont cités selon leur espèce, pas un ne manque. Ce n’est pas simple, ce n’est pas facile, mais il s’y est risqué. Il a vidé son sac, toute son arche, toute sa caisse (une traduction traduit « Arche » par « caisse »). La caisse qui servit pour un temps pour préserver deviendrait cercueil sans cette sortie.
Plus jamais cela !
Et c’est Dieu d’ailleurs qui dira : plus jamais cela. Comme une certitude : si tu as traversé les tribulations de tes tempêtes, si tu as vidé ton arche, si tu as sorti tout ce qui grouillait (grenouillait) en toi, il n’y aura plus jamais ça.
Certes le soleil va se voiler encore et la pluie va tomber. Il y aura des jours plus sombres que d’autres, mais justement, quand les gouttes vont se mettre à tomber apparaîtra l’arc-en-ciel.
Il n’apparaît que dans ces cas-là. Mais ça c’est encore une autre histoire.
Lorsque Dieu dit : « Plus jamais cela », il se le dit à soi-même. Je m’interdis de maudire encore une fois la création, je m’interdis toute destruction. Je vais garantir la succession des nuits et des jours, des saisons, des semences, des moissons, du froid et de la chaleur.
Dieu s’engage sans demander de contrepartie à l’homme.
L’homme a un cadre, une loi cadre, qui lui permet de se sentir en sécurité dans cette création.
Il n’y a pas d’imprévu ; il peut compter sur une régularité à sa disposition, sur laquelle il peut se calquer, sur laquelle il peut s’appuyer pour l’exploiter. L’homme connaît un cadre qui lui permet de vivre.
Sortir de la crise vers la vie, c’est donc passer les tempêtes que nous avons à passer, sortir lorsque nous sommes conviés à sortir, sans se défausser, sans peur, sans fausse pudeur.
C’est se laisser porter vers la reconnaissance qui nous ouvre à la vie, savoir dire « merci mon Dieu, je sais maintenant, parce que je l’ai appris, je puis compter sur toi ».
Le jour où cette reconnaissance montera du fond de toi-même, tu sauras que tu es arrivé(e) au pays de l’arc-en-ciel, où Dieu te certifie : « Plus jamais cela ».
Pasteur Christophe Zenses